Source : Charline PUTTI, https://chapprentiblogueuse.wordpress.com/2014/03/13/mort-pour-150-euros-de-shit-impayes-partie-3-cinq-minots-des-quartiers-juges-pour-assassinat/

Cinq jeunes de la cité Felix-Pyat (Marseille, 3e arrondissement) comparaissent depuis lundi devant la cour d’assises des Bouches du Rhône pour l’assassinat d’un dealer de 20 ans.

«Ce sont des enfants, des jeunes gens immatures dont la seule activité et de bien s’habiller et faire les beaux» déclare hier l’avocate générale Martine Assonion à l’ouverture de ses réquisitions. Ces cinq « gamins » sont brusquement sortis de l’enfance le 23 juin 2010 lorsque que l’un d’entre eux, Abdoul-Hakim Ibouroi poignarde Bacar Chanfi, 20 ans, un autre  « minot des quartiers » pour 150 euros de shit impayés. Ce soir de juin 2010, les cinq jeunes arrivent au parc Kallisté (Marseille, 15e arrondissement) à bord d’une Golf de location. «On avait loué une voiture pour frimer, on voulait se faire un kiff ‘ pour l’été, draguer les filles et les mener à la plage». Au moment des faits, les cinq accusés ont entre 18 et 20 ans et l’attitude qui va avec. Ils partent à Kallisté en musique «y’avait une bonne ambiance dans la voiture, on rigolait, ‘Palé’ jouait avec son pistolet à billes». En arrivant au parking, Abdoul-Hakim descend de la voiture pour récupérer son argent. «Bacar me devait les sous d’une barrette de shit que je lui avais avancée». La victime lui répond «ton argent tu l’aura pas» alors ça dégénère. «Je suis parti chercher un couteau dans la voiture, je me sentais en danger mais la bagarre a mal tourné. Nous sommes tombés par terre et dans le corps à corps, je lui ai mis deux coups de couteau dans la poitrine, mais je n’ai jamais voulu le tuer». Abdoul-Hakim, âgé de 24 ans aujourd’hui, a gardé un air de l’enfance lorsqu’il déclare « j’ai tellement honte de raconter tout ça devant ma mère ».

Ses quatre acolytes qui accompagnaient Abdou-Hakim le soir des faits, « Palé », « Ibé », « le vieux » et Mahamoud, sont jugés pour association de malfaiteurs. S’ils ne sont pas allés au contact de la victime au moment des faits. « Le vieux » et « Palé » ont tenu en respect les jeunes de Kallisté pour ne pas qu’ils se joignent à la bagarre, l’un à l’aide d’un couteau, l’autre à l’aide de son pistolet à billes. Quant à « Ibé », il est celui qui a fourni le couteau qui a provoqué la mort de Bacar. Les quatre jeunes hommes maintiennent qu’ils ne savaient pas ce qui allait se passer ce soir-là. «Nous sommes montés faire une virée en voiture comme on fait tous les soirs. Abdoul-Hakim nous a dit qu’il devait s’arrêter à Kallisté pour récupérer son argent mais on aurait jamais imaginé que la soirée prendrait une telle tournure» explique « le vieux ». Vingt ans de réclusion criminelle sont requis contre Abdoul-Hakim Ibouroi, huit pour « Palé », 5 à 6 ans pour « Ibé » et « le vieux » et 3 à 4 ans pour Mahamoud. Ces cinq enfants de la cité Felix Pyat de Marseille écoutent les réquisitions de l’avocate générale. En s’imaginant déjà au fond d’une cellule, ils repensent à cette jeunesse dans les quartiers, aux après-midi à jouer au foot dans la cité, à «roder en voiture pour voir du monde», à «faire des tractions dans un endroit du quartier qu’on avait surnommé Miami».

«Ces enfants ont préféré un autre chemin à celui d’un honnête travail, comme le font pourtant leurs parents» regrette l’avocate générale. «Ils préfèrent, roder, regarder des séries tv et s’imaginer une vie surfaite». Elle dénonce cette société de «paraître et d’illusions» dans laquelle ont évolué les cinq jeunes hommes d’origine comorienne, avant d’ajouter qu’un tel contexte ne justifie pas «que l’on arrive à ôter la vie de quelqu’un pour 150 euros». Pourtant, «Marseille, dans sa grande pourriture permet ça tous les jours dans les quartiers» souligne l’avocat d’ « Ibé », Me Fabrice Trolliet. Il poursuit, des graviers dans la voix, «ce n’est le rêve de personne d’élever ses enfants à Felix Pyat. Ces jeunes ont grandi dans des quartiers infects et criminogènes».

Des tours de Felix Pyat où ils se sont connus à l’impressionnante salle des assises, les cinq « gamins » ont vu leur jeunesse s’arrêter net. «J’ai gâché ma vie, je ne pourrai plus jamais être heureux» déclare Abdoul-Hakim Ibouroi. «Je ne suis pas dénoncé tout de suite parce que j’avais trop peur de la prison. Pour moi, c’était comme à la télévision, la guerre des gangs et les bagarres pendant les promenades».  Si le jury suit les réquisitions de l’avocate générale, Abdoul-Hakim aura une quarantaine d’années lorsqu’il terminera de purger sa peine. Cette fois c’est sûr, il ne sera plus un enfant.